Nouvelle Stratégie territoriale pour les Ressources Humaines de l’État : quels enjeux, quelles réponses ?
L’évolution de l’emploi dans la Fonction publique s’impose dans l’actualité comme un défi de taille en termes de conditions de travail et de maintien d’un service public de qualité dans les différents secteurs et sur l’ensemble du territoire.
9 juin 2022
En effet, le nombre de postulants aux métiers de la fonction publique chute ces dernières années, que ce soit dans l’Éducation nationale, avec par exemple 816 candidats admissibles au Capes de mathématiques en 2022 pour 1 035 postes, contre 1 706 admissibles l’année dernière, à l’hôpital (33% de postes de médecins vacants, contre 27,4% en 2018) ou dans l’administration pénitentiaire (24 051 candidats au concours de surveillant pénitentiaire en 2021, contre 31 168 en 2018). Concernant la police, la Cour des comptes s’alarme face à la baisse de la sélection à l’entrée à l’école de police entre 2015 et 2020 pour combler l’augmentation du nombre de postes1. Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer cette baisse d’attractivité, comme la stagnation ou la baisse des rémunérations face à l’augmentation des charges de travail et la dégradation des conditions de travail. La Cour des comptes dénonce de plus la baisse du nombre d’agents de la fonction publique de l’État (- 14% entre 2012 et 2020), ainsi que le recours massif et croissant aux contrats courts de moins d’un an (dans les préfectures, ces contrats représentaient 11,3 M€ de rémunération en 2012 contre 67,2 M€ en 2021)2. L’augmentation de la part des contractuels, au détriment des postes de fonctionnaires dans les trois versants de la Fonction publique, est ainsi dénoncée tant par la Cour des comptes que par les organisations syndicales3, car entraînant une dégradation des conditions de travail et une précarisation de l’emploi au sein de la Fonction publique.
C’est dans ce contexte difficile que, le 20 avril 2022, la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) a publié sa « Stratégie territoriale RH de l’État ». Elle vise à renforcer et accompagner les politiques de ressources humaines dans les territoires et à assurer une meilleure efficience nationale des plans en la matière. Ces objectifs seront portés par l’ensemble des acteurs de l’État au niveau local, notamment les Plateformes Régionales d’appui interministériel à la gestion des Ressources Humaines (PFRH), placées au sein des SGAR (Secrétaire Général pour les Affaires Régionales), sous l’autorité des préfets de région. Cette nouvelle Stratégie s’articule autour de deux axes comprenant chacun plusieurs enjeux clés.
Le premier axe consiste à clarifier et hiérarchiser les grands objectifs territoriaux et les priorités des politiques de ressources humaines de l’État. Le premier enjeu présenté est de « renforcer l’attractivité pour attirer et fidéliser les talents ». Cela passe d’abord par la réalisation d’une cartographie au niveau national afin d’établir un constat du niveau et du déficit d’attractivité des territoires. Cette cartographie sera le support de la mise en place d’un plan d’action visant à répondre aux difficultés identifiées, en lien avec les partenaires en charge de l’emploi et en tenant compte des spécificités dechaque territoire. Si l’idée de favoriser l’attractivité des territoires est répandue en matière de politiques publiques, elle est toutefois contestée par des travaux de sociologues, tels Michel Grossetti, directeur de recherche au CNRS. Dans un entretien donné à La gazette des communes, il affirme que « l’attractivité est un mythe » car « les études empiriques montrent que la compétition entre les villes est finalement assez limitée relativement à celle qui peut exister entre des entreprises ». Selon lui, la mobilité géographique durable – s’installer avec sa famille et dans un emploi – est surestimée et doit être distinguée de la mobilité de court terme – se déplacer dans une autre ville pour quelques jours ou quelques semaines. De plus, les politiques d’emploi ou de rénovation de territoire en vue d’attirer les professionnels « excellents » se font au détriment du « maintien des services utiles à tous, et ont donc accru la différenciation sociale des quartiers ». Pour ce sociologue, il « semble souvent plus raisonnable de favoriser le développement des activités déjà présentes, d’élever le niveau de formation des personnes qui résident déjà dans une ville ou la région considérée ». Les enjeux suivants semblent davantage répondre à ces problématiques pour développer l’attractivité au sein de la fonction publique territoriale.
En effet, la nouvelle Stratégie vise également à encourager la proposition de parcours professionnels plus diversifiés au sein d’un même bassin de vie. Il reviendra aux PFRH de favoriser la mobilité entre les employeurs publics locaux et de développer des dispositifs d’accompagnement à la mobilité au niveau régional. De plus, le plan prévoit de renforcer le pilotage territorial des formations via la mobilisation des PFRH, en misant sur l’interaction avec l’ensemble des acteurs au niveau central et au niveau déconcentré. En définissant des orientations pluriannuelles régionales en matière de formation, il s’agit de développer une offre de formation mutualisée et interministérielle, couvrant en outre les trois versants de la fonction publique. La plateforme Mentor sera développée pour favoriser l’accessibilité des formations à destination des agents. Enfin, les PFRH devront coordonner les dispositifs en matière d’accompagnement RH (notamment lors de réforme de l’organisation du travail) et les démarches de convergence et de mutualisation de ressources humaines. Ce volet de la Stratégie est en lien avec la « Stratégie interministérielle pour l’accompagnement de la mobilité et de l’évolution professionnelle 2022-2024 » publiée par la DGAFP le 23 mai 2022. Ces deux stratégies semblent aller en partie dans le sens de ce que Mathilde Icard (présidente de l’Association des DRH des grandes collectivités) et Christophe Hardy (représentant du Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales) suggèrent pour favoriser l’attractivité de la fonction publique territoriale4, à savoir, faire connaître plus largement les métiers de la fonction publique au niveau local et particulièrement au sein des formations universitaires et des écoles. La Stratégie de la DGAFP prévoit aussi de s’appuyer sur les PFRH pour déployer des orientations nationales en matière d’organisation et de conditions de travail. L’amélioration des conditions de travail est présentée par Christophe Hardy comme l’un des points essentiels favorisant l’attractivité de la fonction publique5, parlant d’un mieux-être au travail comprenant la vie familiale, la santé, le cadre de vie et la qualité de vie au travail. Ces points étaient d’ailleurs déjà soulevés dans un rapport de la DGAFP de 20206. En revanche, tandis que ce même rapport, ainsi que Mathilde Icard7, suggèrent une revalorisation de la rémunération dans la fonction publique, pour faire face à la concurrence dans le secteur privé, ce point est absent des récentes stratégies RH et de l’évolution professionnelle dans la fonction publique.
Le deuxième axe de la Stratégie RH publiée vise à définir une nouvelle gouvernance territoriale et à renouveler les pratiques de territorialisation des politiques de ressources humaines. En premier lieu, le plan prévoit de renouveler les missions des PFRH et que celles-ci soient pleinement appuyés par la DGAFP pour accompagner la mise en œuvre des orientations prioritaires. Une feuille de route (s’appuyant sur le document de cadrage national), co-signée par le préfet de région, la DGAFP et la DMAT (Direction de la modernisation et de l’administration territoriale) définira les objectifs contextualisés de chaque PFRH adaptés aux besoins territoriaux, traduites en lettres de mission. Elle sera réexaminée chaque année pour évaluer les résultats, ce qui pourra amener à réajuster des objectifs et des moyens. La DGAFP adaptera son offre de service aux enjeux et aux besoins identifiés par les PFRH et les responsables des PFRH seront davantage associés aux groupes de travail de la DGAFP pour l’élaboration des chantiers nationaux. L’objectif est aussi de simplifier et d’alléger les processus en matière d’action sociale interministérielle en recentrant les missions des PFRH sur l’expertise et l’accompagnement dans le déploiement de la stratégie en coordination avec les acteurs territoriaux.
Ensuite et c’est peut-être le plus structurant, cet axe comprend la création d’un comité régional des DRH des employeurs publics pour conforter la gouvernance des politiques de ressources humaines en région, en assurant la déclinaison territoriale de ces politiques autour d’un programme de travail commun. Alors qu’on assiste depuis plusieurs années à un processus de centralisation de la gouvernance des politiques publiques et de la fonction publique8, cette mesure est intéressante dans la mesure où elle semble rééquilibrer cette dynamique et aller dans le sens d’une reterritorialisation des politiques publiques. Ce comité réunira les RDH ou secrétaires généraux des services déconcentrés de l’État en associant les représentants des autres versants de la fonction publique, sera présidé par le SGAR ou son adjoint et sera réuni au moins deux fois par an. Il formalisera la stratégie régionale des ressources humaines, élaborera un programme d’actions rapporté aux enjeux des territoires et permettra de faire remonter les constats et points de vue de la « communauté interministérielle locale ». Des comités locaux de l’emploi public seront également mis en place pour mieux connaître la situation de l’emploi dans les territoires et mieux partager les besoins en compétences des employeurs publics. Ces comités seront sous l’autorité du préfet et rassembleront notamment les DRH des administrations relevant des trois versants de la fonction publique, les représentants de Pôle emploi et de l’APEC, ainsi que les acteurs avec lesquels des partenariats auront été établis (associations, universités, etc.).
Si ces pistes ne manquent pas d’intérêt en vue d’une restructuration RH pour l’emploi public au niveau local, la lecture de la Stratégie interroge sur sa faisabilité en termes de financement et de moyens humains. En effet, dans la Stratégie RH, ou dans la Stratégie pour l’accompagnement à la mobilité et à l’évolution professionnelle qui lui est reliée, il n’est pas fait mention de création d’emplois pour mettre en œuvre ces mesures. Le plan de la DGAFP semble s’appuyer sur le personnel déjà en place, qui sera chargé de ces nouvelles missions. Dans la Stratégie sur l’accompagnement de la mobilité et des carrières, il est par exemple prévu que celui-ci soit assuré par des agents déjà en poste formés pour accompagner leurs collègues sur une base de volontariat. Le fait que ces Stratégies en faveur de l’emploi dans la fonction publique ne soient pas accompagnées d’un budget ou de moyens humains supplémentaires pour les mener à bien peut surprendre. De même, il n’est pas précisé dans quelle mesure le dispositif concerne des contractuels ou des postes de fonctionnaires, alors que l’augmentation du nombre de contractuels au détriment des titulaires peut avoir un impact sur l’attractivité professionnelle ou les conditions de travail dans la fonction publique9. Les mois à venir nous diront si ces Stratégies sont en mesure de répondre effectivement aux défis actuels en matière d’emploi dans la Fonction publique et de maintien d’un service public de qualité sur tout le territoire.
- La Stratégie territoriale RH de l’État
- La Stratégie interministérielle pour l’accompagnement de la mobilité et de l’évolution professionnelle 2022-2024